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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 18:36

C'était pendant cet hiver, un de ceux qui font les choses bien, qui transforme la ville en glace à la chantilly. Avec mon nez enrhumé aussi rouge qu'une braise au fond de son barbecue, j'avais l'impression d'être la cerise sur le gâteau.

 

Toujours est-il que je divaguai dans la poudreuse que les habitants avaient chassé de leurs portes d'entrée, ramenée avec une bienveillance évidente sur le trottoir. La seule chose qui brûlait avec intensité dans cette ville était probablement mon pied gauche. Mon chien, une sorte de veau consanguin croisé avec un renard des sables, avait gentiment fait ses dents dans la semelle de mon après-ski spécialement acheté pour déambuler dans ce paysage cotonneux. Au lieu de me croire sur les nuages du Paradis, j'avais un pied dans les flammes de l'Enfer. J'aurai pu faire demi-tour jusqu'à l'appartement mais ma flemme légendaire et le fait que j'étais à mi-chemin de mon boulot m'en dissuada.

 

Penser à autre chose, oublier la douleur, réorienter mon cerveau. Je gratte le bras, il paraît que ça marche avec les boutons de moustiques. Ça ne marche pas. Mon boulot, tiens en voilà une autre de préoccupation. Je suis médecin généraliste, d'ailleurs ce n'est pas le froid qui m'a enrhumé mais bien cette gamine hypocondriaque. Le cancer du nez n'a jamais été aussi contagieux et virulent. Médecin donc, arrivé au cabinet j'allais devoir affronter un tas de personnes inquiètes, paranoïaques, irresponsables. Et puis d'autres qui s'en foutent. Dans la salle d'attente, le silence sera absolu, on ne sait jamais les maladies peuvent être très volatiles. Tous se contenteront de lire des magazines bien plus sains que l'air ambiant. Au moment d'ouvrir la porte, tous se tourneront vers moi, avec, au choix, des yeux de biche, de chien battu, ou de chat qui chie. Puis j'écouterai, j'ausculterai, rassurerai et prescrirai quelques pastilles placebo à la plupart d'entre-eux.

 

Mon pied devenu bleu me rappelle à l'ordre au moment où je franchi la porte du cabinet. La chaleur soudaine me dilate deux ou trois veines du pied et je me mets à boiter de plus belle, direction le vestiaire. J'enfile donc mon déguisement de trompe la mort et lace mes chaussures de toubib. L'une moins que l'autre à cause du pied gonflé. Je constate les divers rendez-vous rajoutés du week-end, prends quelques notes, prépare le papier sur lequel les patients viendront s'imaginer chez le psy pendant que je leur prendrai la tension, puis me dirige vers la porte de la salle d'attente. Au moment de poser la main sur la poignée imbibée de microbes, mon œil est attiré par un objet sur ma gauche. La secrétaire, Thérèse, une femme plus large que grande, les seins posés sur le clavier d'ordinateur me regarde désespérément pendant qu'elle explique difficilement au téléphone que non, l'aspirine n'est pas une bonne idée quand on vient de s'ouvrir le crâne, même si on a mal à la tête. Mon regard à moi se pose sur le stéthoscope d'or encadré au dessus de la pré-retraitée. J'avais remporté ce trophée après avoir soigné un patient atteint de la grippe aviaire croisé du syndrome du chikungunya. Mais cela importe peu puisque je ne l'ai pas, ni la maladie, ni mon stéthoscope personnel. Je retourne rapidement dans mon bureau, fouille les tiroirs à la va vite, rien. Impossible de mettre la main dessus. Mon confrère du bureau à côté à besoin du sien et le budjet aussi pauvre que ma villa secondaire ne nous permet pas d'en avoir en rechange. Et j'ai rendez-vous dans moins d'une minute...

 

Faisons sans, j'appelle la première patiente. Je ne sais pas qui a rédigé mon planning mais je suis tombé sur le seul problème pulmonaire de la journée. Je me retrouve donc face à une grande blonde au corps tellement siliconé qu'on en tirerai une immense flaque rose si on l'exposait à la canicule de l'été dernier. Après m'avoir expliqué brièvement sa gène dans la poitrine, je lui demande de s'installer sur le lit empaqueter de papier toilette pour grandes fesses, puis m'approche. Par acquis de conscience et surtout pour retarder le moment crucial je lui observe les oreilles puis lui enfonce le bout d'un magnum en chocolat dans la bouche après avoir lutter contre ses lèvres XXL. Jusqu'ici tout va bien. Tension. Le brassard autour de son bras se gonfle doucement puis je cale mon doigt entre son intérieur de coude et le caoutchouc. Je décèle une tension de 18-3 mais n'en dis rien. Avec une telle précision sans stéthoscope rien ne sert de s'affoler. Je lui demande finalement de respirer fort par la bouche puis colle mon oreille sur son dos, je n'entends rien et je peux, même de dos, voir ses yeux écarquillés. Je passe devant elle puis pose ma tête sur ses seins, cette fois j'entends bien quelque chose, mais uniquement lorsque sa main s'abat sur ma joue d'une telle violence que j'en tombe par terre. C'est alors que se produit une chose à laquelle je n'avais pas pensé, elle se jette sur moi, me chevauche, m'embrasse de ses lèvres hippopotamesques et danse la carioca sur mon ventre. Ayant fini son affaire, elle tousse, propulse des glaires sur le bureau et s'assoit, les poumons en feu. Tout en essayant de remettre ma blouse et de tenir tant bien que mal sur mes jambes, je lui prescris des patchs à la nicotine en lui indiquant le problème. J'encaisse l'argent qui lui aurait probablement servi à s'offrir des fesses toutes neuves puis la remercie professionnellement. Je regarde l'heure, 9h20, la journée promet d'être longue.

 

Midi passé, je ressors du déjeuner avec deux pots de yaourt vides et un fil à rôti emprunté à celui que je viens d'engloutir. Déterminé à ne plus me faire chevaucher, frapper, insulté et à essuyer les plaintes de mon confrère à cause du bruit, je décide de me fabriquer un stéthoscope artisanal en recréant l'ancêtre du téléphone. C'est ainsi que pendant tout l'après-midi je peux avoir des conversations tout à fait incroyables sur la digestion avec des boyaux barbouillés, parler de l'avenir avec deux fœtus qui se battent en duel, et assister au feu d'artifice du 14 juillet avec une appendice arrivée à saturation.

 

A l'heure de la délivrance, je balance ma blouse éprouvée dans mon casier, prends mes après-ski sous le bras, hèle un taxi, pressé de rentrer chez moi, repaye une fesse au conducteur, introduit la clé de l'appartement dans la serrure, habille le porte-manteau, puis m'écroule sur mon lit.

 

C'est au moment d'ajouter du poivre dans la soupe que mon veau-renard de clébard se pointe en hurlant, emmêlé dans mon stéthoscope, la semelle de mon deuxième après-ski accroché à une canine. D'une façon qui ne connaissait que trop bien, mon chien m'avait fait vivre la pire journée de ma vie et il continuait encore au moment où j'allai essayer de reprendre quelques forces. Un rire nerveux me prit, lequel me fit m'écrouler au sol carrelé qui m'accueillit avec la tendresse d'un homme battant sa femme.

 

 

Ce soir là, le constat était simple, j'avais laissé sur le carreau mon pied gauche, mon nez, et mon amour propre.  

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